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jeudi 6 février 2014

Carnet de paysans - Morvan

Allez, encore un petit passage du carnet de paysans:

Michel était éleveur de vaches allaitantes. Il a pris sa retraite depuis peu.
Vaches allaitantes ? Qu’est-ce que c’est ?
« Eh bien, ce sont des vaches que l’on élève pour revendre leurs petits et non pas leur lait. La spécialité du Morvan, c’est le broutard : un veau envoyé au bout de six mois dans d’autres pays qui l’engraisseront. Sa viande rouge est particulièrement appréciée des Italiens, des Espagnols et des Allemands. Mais pas tellement des Français.»
Morvan
 Je tombe des nues. Je bois le lait des vaches. Je mange la viande de bœuf. Mais je n’avais jamais songé qu’il puisse y avoir différentes formes d’élevage selon l’usage auquel on les destine.
« Moi, dit Michel j’ai gardé trois génisses et mon vieux taureau que j’aimais bien. Y sont là-bas, dans la stabulation. »
Stabulation ? D’où sort ce mot barbare ? La stabulation, c’est le hangar moderne où l’on parque les vaches. Le mot est tiré du latin stabule : étable. Alors, c’est étable qui serait barbare ? Et si on appelait stabulation la bonne vieille étable où se trouvaient l’âne et le bœuf. Si on disait que Jésus est né dans une stabulation!
Une stabulation, c’est pratique. On entrave les vaches dans les cornadis, au moment de les nourrir, toutes alignées en rang d’oignons. On déroule devant elles un rouleau de foin. On les laisse ensuite en liberté dans le hangar où elles allaitent leurs veaux et mangent à leur convenance. En dix minutes, une personne enlève le fumier avec le tracteur, là où il fallait des heures à plusieurs.
Une stabulation, c’est moche. Et ces grands bâtiments en tôle disgracieuse envahissent désormais les campagnes.


Stabulation

Michel dit que tout a changé en quarante ans. Le nombre de paysans a fondu. Par contre, le rendement a quadruplé. Avant, à Anost, chaque maison avait son bétail, un petit lopin de terre, cultivé sans désherbant, ni phytosanitaires, ni pesticides. On épandait de la chaux et du fumier. Les paysans faisaient leurs propres semences et les amélioraient eux-mêmes. Maintenant, ils n’ont plus le droit de les semer ou ils ne peuvent plus parce que ce sont des hybrides. « Fut un temps où l’on croyait que grâce aux engrais et aux progrès techniques, on pourrait faire pousser la même chose et avoir les mêmes rendements sur des sols qui ne se valaient pas. Mais si on voulait revenir en arrière, plus rien ne pousserait car la terre s’est modifiée. Il n’y aurait plus de rendement et on risquerait la famine. »

 25 février
Alors, comment ça se passe, l’élevage de vaches allaitantes ? Didier m’emmène chez Philippe qui possède trois stabulations, accueillant chacune une vingtaine de vaches.
 Près des stabulations, on entend des cliquetis de métal, des chocs de ferraille creuse. Les vaches glissent la tête entre les tubulures des cornadis, en attente de leur ration. Finie la vieille étable. Dans l’agriculture moderne, rationnel rime avec alignement.


En hiver, le matin, Philippe fait rouler un ballot de foin humide devant les bêtes  pour les nourrir, le soir un ballot de foin sec, et sur le coup de quatre heures, il leur donne des granules de betterave.  Elles adorent. Je n’en reviens pas. Au bruit de la pelle dans le sac de granules, elles se sont mises à mugir d’énervement. Accros au  sucre, est-ce bien normal ? Didier m’affirme que l’on donnait déjà de la pulpe de betterave aux bêtes dans sa contrée natale du Nord.



Bon, d’accord. Et ces gros cylindres emballés de plastique blanc, qu’on voit fleurir dans les champs, qu’est-ce que c’est ? « On appelle ça enrubannage. Le foin est emballé encore humide là-dedans, et stocké aussitôt. Il conserve ainsi tous ses sels minéraux. On donne ça aux bêtes en hiver. Une première fauche a lieu début mai. On remet de l’engrais et on fait une deuxième fauche fin juin. Ensuite, les bêtes sont menées dans les champs afin d’y pâturer et laisser l’herbe bien rase. »
Mais alors, les foins d’été ? « Ceux-là sont ramassés en ballots, très lourds et très encombrants, laissés à sécher dans les prés, puis stockés sous un hangar. » Honte sur moi, je viens de me rendre compte que je confondais paille et foin. « La paille, c’est pour la litière ! Les vaches n’en mangent pas.» Je réalise que si l’on n’a pas de pré, on n’a pas de foin, et si l’on n’a pas de champs de blé, on n’a pas de paille.
Philippe, ça le fait bien rire. Lui-même n’ayant pas de champ ne peut récupérer la paille lors de la moisson. Alors il l’achète. A cent kilomètres d’ici, pour réduire le coût de transport.









Philippe possède environ soixante-dix vaches, sans compter les veaux et les génisses. Il envoie ces dernières dans les Vosges à des engraisseurs qui les vendent ensuite dans les boucheries locales. «  Je ne fais pas de veau sous la mère. Cela demande trop de travail et il n’y a pas assez de débouchés. Mes broutards, je les vend à l’aspect et à la qualité de la bête, aux Italiens.  C’est mieux payé. »

Philippe pourrait habiter dans un appartement en ville, cela ne changerait rien à son travail. L’image de la ferme carrée, en pierres, a fait long feu. Le plus difficile, c’est de trouver des terres supplémentaires. Sa compagne, rencontrée il y a un an s’inquiète des dépendances : dépendance aux subventions de Bruxelles, et dépendance à l’Italie. Si ça s’arrête, de quoi vivront-ils ? 

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