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dimanche 5 janvier 2014

Carnet de paysans

Avec la nouvelle année qui s'annonce, je pense avoir trouvé un éditeur pour mon carnet sur les paysans.
Titre: Ces paysans qui nous nourrissent
Pour savoir comment travaillent ces paysans qui nous nourrissent, je suis allée dans des fermes, j'ai observé, questionné, peint et écrit à partir de ce que je voyais. En voici un petit avant-goût, qui parle également des pinceaux pour l'aquarelle!

"Dans la cuisine, table à toile cirée d’un côté et fourneau de l’autre, la mère de François accueille les visiteurs, sert le café, prend des nouvelles du voisinage.


Elle interpelle quelqu'un qui vient d’entrer :
- Tu y crois toi au bio ? Le semencier racontait que l’autre jour, un maraîcher bio est venu pour lui acheter des plants de pomme de terre bio. Comme il en avait pas, l’autre lui a tout de même bien acheté des plants pas bio. Pour les replanter, forcément. Alors, si c’est ça le bio. »
J’ai sympathisé avec la mère de François. Marie, femme de paysan : esprit pratique, humour, à propos, air parfois revêche, parfois malicieux.
« - Pourquoi, ça s’appelle chez Dragon, ici.
- Oh, mais j’en sais rien. C’est peut-être bien moi le dragon.
Je la peins mais ça ne va pas comme je voudrais. Je dis : « j’ai du mal avec votre portrait.
- Oh, mais je vous l’ai pas commandé. »
Marie me demande avec quoi je peins :-
- Des pinceaux en poils de martre ?
- Oui, à 26 euros le pinceau.
- ça fait cher le kilo de poils.
Je ne pourrai plus jamais peindre sans penser au prix du kilo de poils de martre. Combien pèse mon pinceau ? Combien de pinceaux pour faire un kilo ?
Quelqu’un passe.
- Tu sais ce que c’est les poils de son pinceau ?
- Non. Du rat ?
- Pas loin. C’est de la martre.
- Mais c’est si terrible que ça une martre ?
- Bien sûr. Ca vous saigne tout un poulailler. Nous, les martres, on leur met des pièges. On n’en veut pas dans nos granges. »
J’évoque un fromage blanc bio acheté à la foire, franchement pas bon, comme si la présure avait été mise le matin même.
« Ah, mais normalement, on n’en met pas, dit Marie. Le lait caille tout seul. Mais maintenant, avec toutes les précautions, ça marche plus. Avant, le lait trait du matin, vous le laissiez dans la cuisine. Le soir, il était caillé. Maintenant, on se lave les mains, on lave les pies de la vache, il part aussitôt dans le tank à 5°. Vous n’aurez plus jamais le goût qu’on a connu. »
Marie a travaillé toute sa vie. C’était dur physiquement. « Il fallait couper les chardons parmi les blés, aller aux champs le matin, avant d’aller à l’école. Même François, il a trait les bêtes le matin avant d’aller à l’école. Sarcler les betteraves pour les vaches, leur débiter des morceaux au couteau. Ce qu’on leur donne maintenant, c’est de la pulpe, le déchet de la betterave sucrière qui reste à la sucrerie. Elle est tournée en granules.  On leur donnait aussi des raves en hiver, et des topinambours. Si on voulait qu’elles aient du lait, il fallait bien leur donner autre chose que de l’herbe. »
« Il fallait faire cuire le chaudron pour les cochons : raves, collets verts, betteraves, pommes de terre. On faisait de la vigne aussi qu’on vendait de reste aux gens d’ici. On ramassait le foin en vrac, coupé à la faux. On le rassemblait, l’andainait, les chevilles tout en sang dans les chaumes. Après, fallait faire les bottes, les lier, les ramasser, les rassembler, les monter dans le grenier. Oh, ben ça, j’aimais pas d’aller dans le grenier à foin. Il faisait chaud, c’était dur. Des fois, vous vous ramassiez une vipère. Nourrir une vingtaine d’hommes matin, midi et soir. On n’avait pas le frigidaire, pas l’eau sur l’évier, pas de gazinière. Vous vouliez faire une omelette le midi, il fallait allumer le feu de bois, et quand il y a le soleil, hein ! »

La ferme de Marie



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